Maisons aux vitres cassées, commerces abandonnés, usines désaffectées couvertes de graffitis, quartiers éventrés par des autoroutes, des voies ferrées et des échangeurs décrépits : South Central, à Los Angeles, le South Side, à Chicago ? Non, le Sud-Ouest, à Mont-réal ! Le secteur le plus hot au Québec… dans le domaine de l’immobilier.
Pointe-Saint-Charles, Saint-Henri, Côte-Saint-Paul, Ville-Émard, la Petite-Bourgogne… Si vous vivez à Québec, Gaspé ou Normétal, ces quartiers de l’arrondissement du Sud-Ouest ne vous disent peut-être pas grand-chose. Aux yeux des Montréalais, ils évoquent pauvreté et misère. « Il y a 20 ans, habiter à Pointe-Saint-Charles était honteux », dit la mairesse, Jacqueline Montpetit.
C’est justement dans le Sud-Ouest qu’en 1945 Gabrielle Roy a campé l’action de Bonheur d’occasion, roman qui traitait de la pauvreté urbaine. Aujourd’hui, son héroïne, Florentine Lacasse, aurait du mal à reconnaître le quartier miséreux de sa jeunesse. La revitalisation du canal de Lachine et de la rue Notre-Dame a attiré une faune fortunée. Résultat : Florentine n’aurait plus les moyens d’habiter à Saint-Henri. La minuscule bicoque qui servait de cadre à sa vie, à l’angle des rues Saint-Ambroise et Saint-Augustin, est aujourd’hui évaluée à près de 100 000 dollars.
Le Sud-Ouest — 70 000 habitants, l’équivalent de la population de Chicoutimi — connaît donc un essor fulgurant. « On avait beaucoup de rattrapage à faire ! » précise la mairesse de l’arron-dissement. Depuis 2000, le prix médian des maisons individuelles y est passé de 96 000 à 275 000 dollars. Un bond de 186 % ! De quoi faire saliver les investisseurs les plus aguerris.
Michel Simard, 42 ans, avocat et agent d’artistes, rénove un triplex qu’il a acheté avec son conjoint l’an dernier, à un jet de pierre du marché Atwater, qu’il voit de sa cuisine. « Pour moi, c’était “hors du Plateau-Mont-Royal, point de salut”, dit-il. Aujourd’hui, rien ne pourrait me convaincre de retourner vivre dans ce quartier. Ici, on a de la place, on respire. »
De tout le Québec, c’est le Sud-Ouest, à Montréal, qui a été le plus atteint par la fièvre immobilière des dernières années, la valeur des maisons ayant parfois presque triplé ! L’arrondissement du Plateau-Mont-Royal, à Montréal, et le quartier Saint-Roch, à Québec, ainsi que des municipalités comme Sainte-Catherine-de-Hatley et Saint-Denis-de-Brompton, en Estrie, Château-Richer et Stoneham, près de Québec, Val-Morin et Labelle, dans les Laurentides, ont tous connu une hausse du prix des maisons de plus de 150 % en huit ans.
Une envolée attribuable, d’une part, à l’attrait qu’exercent les quartiers centraux revitalisés et, d’autre part, à l’arrivée d’un premier contingent de baby-boomers à la retraite. « Les baby-boomers sont à l’origine du retour à la campagne auquel on assiste actuellement dans certaines régions », dit Daniel Gill, professeur à l’Ins-titut d’urbanisme de l’Université de Mont-réal (voir « Moi, je déménage au chalet ! »). Cet exode a eu des répercussions sur le prix des résidences de villégiature dans certains coins de l’Estrie, de la Montérégie et des Laurentides, qui se vendent désormais autour de 300 000 dollars…
Les prix ont cependant atteint leur limite au Québec, estiment des économistes et des spécialistes de l’immobilier. Ils entrevoient pour 2009 une baisse des prix de 2 % à 5 % ou, à tout le moins, une sta gnation qui devrait durer un an ou deux. « Après le marché extrêmement actif qu’on a connu jusqu’en 2007, il est normal qu’il y ait un ralentissement », dit François Des Rosiers, professeur de gestion urbaine et immobilière à l’Université Laval, à Québec. « En fait, on s’y attendait. »
Sans compter qu’on construit trop au Québec. Fin 2008, la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL), premier fournisseur d’assurance prêt hypothécaire au Canada, évaluait à 42 000 le nombre de nouveaux logements qui seront construits en 2009, alors que le nombre de nouveaux ménages formés pendant la même année est estimé à 35 000. C’est donc 7 000 logements de trop, selon l’organisme.
« Le surplus de maisons neuves pourrait faire baisser les prix », explique Kevin Hughes, économiste principal à la SCHL. Une correction a toutefois été amorcée. En janvier, le nombre de mises en chantier connaissait un recul de 13 % par rapport à la même période l’an dernier.
Ginette Barolet et Carol Jarry, agentes immobilières pour La Capitale, à Mont-réal, constatent aussi un retour vers un marché « normal ». Retour souhaité, précisent les deux agentes, qui travaillent ensemble depuis près de 20 ans. Un marché normal est un marché où une propriété reste en vente environ 60 jours, où les acheteurs ont le temps de visiter deux ou trois fois la même propriété et où il n’y a pas de surenchère. « La période que nous venons de traverser n’avait rien d’agréable, malgré ce que les gens peuvent penser », dit Carol Jarry en parlant de l’effervescence qui a touché l’immobilier de 2000 à 2008. « Aucun agent n’aime exercer de la pression sur un acheteur pour qu’il dépose une offre 10 minutes après avoir fait sa première visite d’une maison, de crainte qu’un autre acheteur ne saute sur l’occasion. »
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Le marché a beau montrer des signes de ralentissement, on y enregistre tout de même certains soubresauts. Comme ce rez-de-chaussée dans Rosemont, à Montréal : mis en vente à 299 000 dollars, en février, il a été vendu quelques jours plus tard… 305 000 dollars.
Il reste qu’au cours des prochaines années les vendeurs devront peut-être se contenter de 92 % du prix demandé, au lieu d’en obtenir 98 % ou 100 %, comme c’était le cas depuis plusieurs années, estime François Des Rosiers.
Ce répit sera le bienvenu pour les acheteurs. Car dans bien des coins du Québec, les ménages rament depuis 2000. Jamais, depuis la crise économique du début des années 1990, ils n’ont consacré une part aussi importante de leurs revenus au logement. Selon l’indice d’accessibilité à la propriété calculé par la Banque Royale du Canada (RBC), les propriétaires de bungalow consacrent en moyenne, au Québec, 35,3 % de leurs revenus bruts au remboursement de leur emprunt hypothécaire et au paiement de l’impôt foncier, de la taxe scolaire et des services publics.
À Montréal, pour le même type de propriété, c’est 40,4 % des revenus qui y passent, alors que les propriétaires de maisons à deux étages y engloutissent un peu plus de la moitié de leurs revenus. On est loin des 29,6 % enregistrés en 2001, mais on est également loin de l’indice d’accessibilité à Vancouver : 74 %. « Là-bas, le ménage moyen ne peut plus s’acheter un bungalow », dit Robert Hogue, économiste principal à la RBC.
La situation n’est pas différente de celle que l’on observe dans certains coins du Québec. « Des quartiers de Montréal ne sont plus accessibles aux acheteurs d’une première maison. Ils doivent sortir de l’île ou opter pour un petit condo », dit l’agente Ginette Barolet.
François Gauvin, 44 ans, cherche depuis quelques mois un appartement en copropriété à Montréal. Et il a bien du mal à trouver la perle rare : deux chambres à coucher, un stationnement (intérieur si possible) et une station de métro accessible à pied. Il est pourtant prêt à payer jusqu’à 350 000 dollars. Cadre à Air Canada, il écume l’arrondissement de Ville-Marie et le quartier Notre-Dame-de-Grâce. Les prix le sidèrent. « C’est cher sans bon sens, dit-il, l’air dépité. Mais avec l’économie qui tourne au ralenti, j’espère que les prix vont baisser et que je tomberai sur une bonne affaire. »
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Peu importe les prévisions des économistes, les agents immobiliers — dont le salaire dépend de la vente de maisons — vous diront qu’attendre une baisse des prix avant d’acheter est une erreur. « La plus importante chute des prix, au cours des 25 dernières années, n’a été que de 4 % », note Michel Beauséjour, chef de la direction de la Fédération des chambres immobilières du Québec. « L’argent que vous économiserez en remettant votre achat à plus tard, vous le dépenserez pour payer votre loyer. Vous êtes prêt à acheter ? Alors allez-y. » (Voir le tableau « Tout le monde descend… ou presque », p. 30.)
Trois variables influencent directement le prix de vente des propriétés : les taux d’intérêt des prêts hypothécaires, la vigueur du marché de l’emploi et la confiance des consommateurs dans l’éco nomie. En général, jusqu’à l’automne 2008, ces trois variables étaient au beau fixe au Québec, poussant les prix des maisons vers les sommets que l’on connaît. Ce n’est plus le cas.
Depuis quelques mois, pas une semaine ne passe sans qu’on annonce des suppressions d’emplois. Des fleurons du Québec inc., comme Bombardier Aéronautique, Bell Helicopter et Pratt & Whitney, mettent leurs employés à pied par centaines. Même chose du côté des régions ressources, où des travailleurs des mines et de la forêt viennent régulièrement grossir les rangs des chômeurs. En tout, au Canada, 129 000 emplois ont été perdus en janvier. Une saignée qui pourrait bien ne pas être terminée : la CIBC prévoit 300 000 mises à pied au pays cette année. Et les mauvaises nouvelles ne s’arrêtent pas là.
Établi à 70 points par le Conference Board du Canada, l’indice de confiance des consommateurs flirte actuellement avec son plus bas niveau depuis le début des années 1980. « Un niveau de récession », précise Pedro Antunes, directeur des prévisions nationales et provinciales au Conference Board. Bref, les consommateurs ont le moral dans les talons. « Il faut s’attendre à une baisse de la consommation, particulièrement en ce qui concerne les achats importants, comme une maison ou une voiture », dit-il. Et ça ne va guère mieux du côté des chefs d’en treprise. Moins de 10 % d’entre eux entrevoient l’année 2009 avec optimisme.
L’effet sur le nombre de transactions immobilières au Québec a été immédiat. Dans les trois derniers mois de 2008, celles-ci ont diminué de près du tiers comparativement à la même période en 2007, tandis que les prix augmentaient de 6 %. « C’est le taux de confiance des consommateurs qui a joué », dit Michel Beauséjour. Des acheteurs retardent leur décision et des vendeurs attendent d’obtenir leur prix. »
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En fait, seuls les taux hypothécaires sont encore avantageux pour les acheteurs. À la mi-février, des institutions financières comme la Banque de Mont-réal et TD Canada Trust offraient des taux d’intérêt inférieurs à 5 % pour cinq ans. À des années-lumière des 18 % qui saignaient les acheteurs dans les années 1980 et des 13 % du début des années 1990. « Toutes les semaines, à l’époque, des clients nous remettaient les clefs de leur maison en disant qu’ils n’étaient plus capables de rembourser leur emprunt », se rappelle Claude Béland, ex-président du Mouvement Desjardins et aujourd’hui président du Mouvement d’éducation et de défense des actionnaires (MEDAC), fondé en 1995 par le « Robin des banques », Yves Michaud.
Cette situation n’est pas sans rappeler ce qui se passe maintenant aux États-Unis, où le nombre de saisies immobilières pour défaut de paiement dépasse le cap du 1,5 mil-lion. À Detroit, gravement touchée par la crise de l’automobile, 51 % des propriétés à vendre sont liquidées par les banques, aux prises avec un parc immobilier dont elles veulent se départir. « C’est dramatique », dit Glenn Champion, directeur des ventes et des affaires juridiques chez Weir Manuel, un courtier de la région de Detroit. « Le marché est inondé de maisons vendues pour la moitié de leur valeur. »
Les saisies pour défaut de paiement n’atteindront pas cette ampleur au Québec. « Nos banques sont beaucoup plus prudentes et ne prêtent pas sans garantie », dit François Des Rosiers, de l’Université Laval. Les banques américaines ont multiplié les prêts hypothécaires à risque, comme les prêts ninja — pour no income, no job, no assets (pas de revenus, pas d’emploi, pas d’actifs) — ou les liar loans, prêts hypothécaires accordés sans vérification de crédit. Résultat : nombre d’Américains ont acheté une propriété sans en avoir les moyens, convaincus qu’elle allait prendre de la valeur rapidement. Or, le contraire s’est produit.
Dans certains États, notamment la Floride, la Californie et le Michigan, la valeur des propriétés a plongé de 20 % à 50 % en 2008, alors qu’elle s’appréciait de 25 % annuellement depuis plusieurs années. « La hausse des prix a été fulgurante, la chute est proportionnelle, dit Glenn Champion. Par exemple, une maison qui avait été achetée 300 000 dollars en 2007 a été récemment mise en vente par la banque au prix de 160 000 dollars. »
Au Canada, seules Vancouver et Calgary sont menacées de chutes de prix similaires. « La situation sera plus difficile là-bas qu’ici », dit François Des Rosiers. Si le prix du pétrole reste bas, il y aura des mises à pied et des faillites personnelles à Calgary. Inévitablement, le marché immobilier écopera. Vancouver a vécu son boom avant le reste du pays, au milieu des années 1990, lorsque la rétrocession de Hongkong à la Chine y a entraîné un déplacement massif de capitaux. Les prix ont grimpé au point que les ménages n’ont plus les moyens d’acheter. « Les salaires devront augmenter ou les prix devront baisser, dit Robert Hogue, de la RBC. Et le contexte économique actuel ne favorise pas les hausses salariales… »
Au pays de GM et de Chrysler, la crise immobilière aura eu une conséquence inattendue : les maisons neuves rapetissent ! Selon la National Association of Home Builders (association américaine des constructeurs de maisons), la superficie moyenne des nouvelles constructions est passée de 2 629 à 2 438 pi2 (de 244 à 226 m2 ) de 2007 à 2008. À l’Association provinciale des constructeurs d’habitations du Québec (APCHQ), on ne saura que l’été prochain si la même tendance s’applique à la province.
Là-bas, l’heure n’est résolument plus aux « monster houses », propriétés monstrueuses en pierres de synthèse dont le style s’inspire des manoirs français. Au Québec, ces propriétés de cinq, six ou sept chambres à coucher, comprenant presque autant de salles de bains, poussent toujours dans les quartiers Dix30, à Brossard, et Fontainebleau, à Blainville.
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Des mastodontes condamnés à un avenir sombre, croit François Des Rosiers. « Les propriétés de luxe subiront les baisses de prix les plus marquées, dit-il. Cela comprend les chalets, les résidences secondaires et ces maisons-manoirs. » Et puisque de nos jours les gens veulent rester chez eux le plus longtemps possible, explique Kevin Hughes, de la SCHL, il faut se demander si ces propriétés constituent des endroits appropriés pour vieillir.
Selon l’urbaniste Daniel Gill, de l’Université de Montréal, 150 000 couples de baby-boomers dont les enfants ont quitté le nid familial réfléchissent actuellement à ce qu’ils feront de leur maison. Peu importe qu’ils décident de déménager à la campagne, de revenir vers les centres-villes ou d’aller vivre dans une résidence pour personnes âgées, une chose demeure : le marché immobilier sera inondé de maisons à vendre.
C’est pourquoi il invite les gens à y penser à deux fois avant d’acheter une propriété dans le but d’investir. « Dans 15 ans, on manquera de monde pour occuper les maisons, comme on manque actuellement de monde pour occuper les emplois, dit-il. À ce moment-là, la maison que vous considérez aujourd’hui comme une valeur refuge ne sera plus qu’un refuge sans valeur. » .
Le graphique Indice Prix de maison Teranet – Banque Nationale représente le taux de variation des prix des maisons individuelles vendues dans quelques grandes villes du Canada. La valeur de référence (100) a été établie en juin 2005. Le graphique indique donc l’évolution des prix — et non pas la valeur financière des propriétés sur le marché — à compter de cette date. C’est ce qui explique que la courbe de Montréal, par exemple, se retrouve au-dessus de celle de Toronto, même si les propriétés de Toronto coûtent plus cher. Tout ce qu’on peut conclure, c’est que les prix ont augmenté plus rapidement à Montréal que dans la Ville reine.
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